M. Di Mattia – À l’issue d’une récente visite en Haïti, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a déclaré avoir observé une des pires situations de pauvreté et de terreur au monde, à l’heure où de nombreux quartiers de la capitale sont contrôlés par des bandes armées qui limitent l’accès à l’eau, à la nourriture, aux soins de santé et aux carburants. Malgré l’extrême gravité de la situation, le représentant onusien nourrit l’espoir que le peuple haïtien surmonte ces multiples crises avec l’aide de communauté internationale. Il exhorte cette dernière à faire du soutien à Haïti une priorité.
Il y a près de deux ans maintenant, la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, dépêchait une mission d’information et de contact en Haïti. La délégation, conduite par son conseiller spécial et composée d’experts, était chargée d’engager des consultations approfondies avec l’ensemble des parties prenantes pour déterminer les modalités d’accompagnement que la Francophonie pouvait offrir en réponse à la crise profonde que traverse cet État membre. À son échelle, la Fédération Wallonie-Bruxelles a œuvré durant plus de vingt ans au renforcement de l’offre de formation en Haïti, au travers de l’action de l’Association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger (APEFE) et de l’Institut national de formation professionnelle (INFP). À la fin de l’année 2021, l’association a clos le dernier programme d’appui à la formation socioprofessionnelle – une initiative mise en œuvre en 2013 –, avec la perspective de capitaliser sur les résultats obtenus.
Monsieur le Ministre-Président, les différents échelons de pouvoir compétents se sont-ils concertés pour faire du soutien à Haïti une priorité dans leur agenda? Le cas échéant, quelle réponse coordonnée la Belgique – et singulièrement notre Fédération – compte-t-elle apporter à la demande formulée par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme?
À la suite de la mission diplomatique menée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), un comité consultatif a été constitué. Son rôle est de partager avec les États membres de la Francophonie les constats de la mission d’information et de contact, de même que ses recommandations d’actions en vue de consolider la paix et la démocratie en Haïti. Quelles suites ont-elles été données à cette mission? Aujourd’hui, en accord avec les différentes parties prenantes haïtiennes et en lien avec les partenaires internationaux, de quelle manière la Francophonie contribue-t-elle à régler la situation sur le plan politique? Notre Fédération a-t-elle pris part concrètement à la réalisation de cet objectif?
Pourriez-vous faire le point sur la coopération belge et, singulièrement, sur l’appui de Wallonie-Bruxelles International (WBI) en Haïti? D’autres projets ont-ils encore cours depuis la clôture du programme d’appui àla formation et l’insertion socio-professionnelle? Une équipe de WBI est-elle encore sur place? Le cas échéant, quel est l’état de la situation? Comment le travail réalisé par l’APEFE dans le pays ces vingt dernières années pourrait-il contribuer à reconstruire un modèle démocratique en Haïti?
M. Jeholet – Monsieur le Député, comme je l’ai signalé au mois de mars 2022, nous avons décidé de ne pas poursuivre la coopération bilatérale avec Haïti en raison de l’aggravation de la situation sécuritaire et politique dans le pays. Les opérateurs ont été informés de cette décision. Aujourd’hui, nous ne finançons plus qu’une bourse de doctorat dans le cadre d’un projet de coopération bilatérale directe.
Le bureau local regroupant des représentants de WBI et de l’APEFE a été fermé le 30 avril 2022. Le programme de l’APEFE étant terminé, les contrats de l’équipe haïtienne ont pris fin au 31 décembre 2021 et l’administrateur de programme est rentré en Belgique avant de partir exercer d’autres fonctions au Sénégal. La décision de l’APEFE de quitter Haïti remonte à 2020 et il n’y a plus de nouveaux programmes depuis 2022. Cette décision s’inscrit dans la stratégie globale de l’APEFE qui souhaite concentrer ses activités sur l’Afrique de manière à renforcer les synergies avec la politique belge de développement, ainsi qu’avec les politiques des entités fédérées. Par ailleurs, financé majoritairement par le gouvernement fédéral et soutenu par la Région wallonne, le programme de formation professionnelle et technique mené par l’APEFE a été finalisé au 31 décembre 2021. Dans ce cadre, la grande majorité des résultats espérés ont été atteints.
Lors du dernier sommet de la Francophonie, organisé à Djerba au mois de novembre 2022 et auquel j’ai pris part, les chefs d’État et de gouvernement ont adopté une résolution sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix dans l’espace francophone. Six articles de cette résolution sont consacrés à Haïti, ce qui témoigne de l’attention que nous portons à ce pays. J’aimerais attirer votre attention sur deux articles de cette résolution en particulier. Le premier insiste auprès de tous les acteurs haïtiens sur l’urgence de trouver une solution politique pacifique et durable à la crise en cours, conduisant à terme à la tenue d’élections libres, fiables, transparentes et inclusives. À cet égard, la résolution adoptée soutient l’initiative de la secrétaire générale de la Francophonie, visant à faciliter les conditions d’un dialogue inter-haïtien inclusif, avec le concours des États et gouvernements membres, ainsi que de l’Organisation des Nations unies (ONU) et d’autres partenaires internationaux de la Francophonie. Le deuxième article prend acte de la demande formulée par le gouvernement haïtien concernant le déploiement, sans délai, d’une force internationale en appui des autorités haïtiennes, afin d’aider le pays eu égard à la grave crise sécuritaire et humanitaire qu’il traverse.
La dernière réunion de la commission politique de l’OIF s’est tenue le 10 février 2023. La Fédération Wallonie-Bruxelles, au travers de sa délégation générale à Paris, y a pris part. Lors de cette réunion, la Direction des affaires politiques et de la gouvernance démocratique, ainsi que le cabinet de la secrétaire générale de la Francophonie ont confirmé qu’Haïti reste évidemment un État membre. À ce titre, ce pays bénéficiera d’une attention particulière de la part de l’OIF. Par ailleurs, cette dernière concentrera ses efforts d’aide et d’appui envers ce pays, en particulier dans le cadre de la facilitation du dialogue inter-haïtien et dans la préparation de la tenue d’élections fiables dans les délais les plus courts possibles.
M. Di Mattia – Monsieur le Ministre-Président, ce dossier est pleinement en lien avec les missions de la Fédération et son rôle au sein de l’OIF. Je considère tout de même qu’il est complètement contradictoire qu’Haïti reste un État membre, étant donné les résolutions prises par l’OIF. En effet, comment considérer le pays comme tel si les derniers représentants de l’OIF dans le pays ont été démis de leurs fonctions, laissant place à un vide sur le plan institutionnel? Bien entendu, je ne vous fais strictement aucun procès. Si vous en aviez le pouvoir, nous en discuterions dans une autre enceinte. Je tiens à faire passer un message constructif à notre échelle. Au sein de la Francophonie, deux pays méritent une attention toute particulière: le Liban – qui a heureusement des pistes pour rebondir – et Haïti qui, privé de toute structure démocratique, n’a plus que ses yeux pour pleurer. Dès lors, même si nos compétences sont limitées en Fédération Wallonie-Bruxelles, votre parole – jointe à celle d’autres partenaires occidentaux – peut être entendue. Vous devez soutenir Haïti, au moins indirectement, afin de lui permettre de se doter du minimum de structures nécessaires pour servir de base à une réelle démocratie. Sans ces structures, sans personnel œuvrant au fonctionnement d’un État, il est impossible d’établir une démocratie. Ce pays, qui semble malheureusement maudit à travers les années, touche le fond.
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